Dans le Katanga, la région du sud-est de la République démocratique du Congo (RDC), la course vers les minerais de cuivre et de cobalt occasionne de nombreuses violations des droits humains. C’est notamment les cas de pollutions minières. Les entreprises qui exploitent ces ressources nécessaires à la transition énergétique ne répondent pas dûment de leurs actions.
L’exploitation minière joue un rôle important dans l’économie et les emplois de la région, avec des entreprises étrangères et nationales comme grands acteurs.
Les mines, le cœur de l’économie du Congo
Face à la puissance et à l’influence de nombreuses entreprises, les citoyens ont l’impression que bon nombre de leurs réclamations ne sont pas entendues. Et avec la société Gécamines comme actionnaire de beaucoup de ces grands acteurs, les experts juridiques et les résidents touchés par l’exploitation minière réclament que le pays doit encore plus s’assurer qu’ils respectent les droits environnementaux et humains. Toutefois, de nombreuses enquêtes, y compris celle-ci, mettent en évidence que la Gécamines est soit complice de l’impunité dont bénéficient les entreprises, soit victime.
Par exemple, COMMUS est une filiale de la chinoise Zinjin Mining, une société liée au gouvernement chinois à travers une société d’investissement publique (Minxi Xinghang State-owned Investment & Operation Co., Ltd.) qui détient 23,11% de ses actions. Zinjin Mining détient 72 % des actifs de COMMUS acquis en 2014 et 2016 de la chinoise Zhejian Hayou Cobalt. La Gécamines en détient, pour sa part, 28 % d’actifs. La compagnie chinoise contrôle déjà Kamoa, l’un des futurs géants du cuivre qui est aussi une joint-venture entre le canadien Ivanhoe (39.6 %, cotée en bourse), le chinois Zijin Mining (39.6 %) et l’État congolais (20 %).
Or, Kamoa et COMMUS ont été indexées par un rapport conduite de 2019 à 2021 par le Centre Carter sur le dévasement des matières toxiques dans les cours d’eau dans le territoire de Mutshatsha, pour Kamoa, et la dégradation des habitats COMMUS à Kolwezi. Alors que les pays d’origine de ces investissements miniers, le Canada et la Chine, n’ont pas assuré le suivi de la mise en place de leurs politiques à l’étranger à travers leurs entreprises, indique le rapport, l’État congolais n’a pas non plus protégé ses citoyens et fait respecter ses lois.
« Les communautés ont formulé plusieurs plaintes et dénoncé l’étonnant silence de l’État Congolais dont les services se sont montrés moins concernés », indique le rapport.
Pour le défenseur des droits humains Donat Kambola, « dans plusieurs cas, les victimes n’ont pas été rétablies dans leurs droits. Il n’y a pas eu de réparation » alors que certains cas traînent depuis 5-6 ans, et que de nouveaux cas apparaissent. « Et donc, c’est au niveau de l’État qu’il y a une forme de non-État : l’autorité est presque absente, le contrôle inefficace et les entreprises profitent de cette inaction de la part de l’État », assure Donat Kambola.
Pourtant, les sociétés minières privées jouent un rôle important dans l’économie nationale en RDC. Elles contribueraient à hauteur d’au moins 1 milliard de USD, entre 2022 et 2023, d’après le média de la mission onusienne au Congo Radio Okapi. Dans une économie dépendante des ressources naturelles, et où l’influence des personnalités publiques est importante, ces sociétés se politisent facilement. C’est le cas de certaines sociétés parmi les 6 qui font l’objet de cette investigation, qui sont partenaires de l’État congolais dont les actifs vont de 20 à 49 %.
Des dirigeants de la Gécamines étaient éclaboussés en 2023 par un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), service public dépendant de la présidence de la République, dans une affaire de partage de 10 millions de dollars. Dans ce rapport de mai 2022, l’IGF a montré, à la suite des ONG, que la Gécamines n’a toujours pas publié 6 contrats miniers qu’elle a signés avec des sociétés privées entre 2000 et 2008. Le niveau d’implication des politiques est tel que, selon l’IGF, certaines sociétés partenaires de la Gécamines sont nées sans apport de capitaux propres, l’État congolais ayant offert les gisements miniers qui ont servi, en plus, à payer les dettes contractées par les partenaires de la société publique congolaise.
Pour couronner le tout, la Gécamines n’a reçu que 564 millions de USD de royalties tirées de ses partenariats, « soit 1,6 % alors que les partenaires de la Gécamines ont réalisé un chiffre d’affaires global évalué à 35 milliards de USD » de 2012 à 2020. En tout, le manque à gagner, durant la même période, s’élève à plus de 360 millions USD pour la seule TFM qui ne payait pas de royalties, selon le même document de l’IFG.
Dans ce contexte, la RDC aurait perdu 1,95 milliards de dollars et pourrait perdre encore 3,71 milliards de dollars dans les années à venir, d’après l’enquête financière la plus récente de Le Congo n’est pas à vendre, une coalition de la société civile congolaise anti-corruption. Le pays pourrait perdre aussi près de 2 milliards (1,76 milliards de dollars) dans les projets miniers de KCC et de Mutanda Mining.
Le nom de l’israélien Dan Gertler, et derrière lui « le clan Kabila », d’après l’expression de certains médias, avec l’ancien président Joseph Kabila lui-même qui est ami du magnat israélien, ont été plusieurs fois cités dans des contrats miniers opaques impliquant la Gécamines dans ces partenariats de joint-ventures. Dans les projets miniers de KCC (Kamoto Copper Company) et Mutanda Mining, Dan Gertler gagnerait des royalties de 200 000 USD par jour, jusqu’en 2039. Le président Tshisekedi a, toutefois, renégocié certains de ces contrats et a permis à la RDC de récupérer des actifs d’une valeur de 2,5 millions USD d’actifs.
Les victimes des pollutions minières oubliées
Les conséquences de la paralysie de l’administration environnementale congolaise font que les victimes des pollutions et dégradations attendent longtemps leurs indemnisations et désespèrent. Pour l’activiste des droits humains Donat Kambola de Kolwezi, « il y a une forme d’inaction de la part des organes étatiques qui sont censés faire le contrôle et le suivi du secteur minier. Il y a une forme d’impunité ».
En mars 2022, par exemple, la commission d’enquête conduite par le Bureau de l’environnement sur une accusation de pollution par eau acidifiée, ayant touché les champs de Yenge dans la périphérie de Kolwezi, s’est limitée à la co-entreprise Sino-Congolaise des mines (SICOMINES), à environ 1 km de Yenge, à vol d’oiseau, et à quelque 500 mètres des champs supposés pollués. Son rapport ad hoc n’examine cependant pas les témoignages des habitants et se contente de louer les « investissements colossaux » et sa protection de l’environnement. Pourtant, à Yenge, les cultures de manioc pourrissent encore à ce jour, la canne à sucre et les bananiers croissent trop lentement et ne sont plus rentables comme nous avons pu l’observer en octobre 2023, depuis le déversement des eaux acides parties d’un bassin de rétention.
« Nous étions allés jusqu’au bassin qui avait cédé. Il n’y avait pas moyen d’y aller par le marécage pour retirer les filets de pêches ou prendre des récoltes », explique Jean, 40 ans environ, habitant de Yenge.
« Jusqu’à ce jour, le manioc pourrit », commente Ngoyi wa Ilunga, habitant du village, en montrant un manioc dégradé. Il s’indigne : « Qu’allons-nous manger ? L’État qui devrait veiller sur nous ne le fait pas. Nous souffrons de telle manière ! Ils étaient venus ici et nous avaient fait des promesses : ils sont partis pour toujours ».
Quant à Cathy Katende, habitante de 70 ans révolus, les mauvaises récoltes causées par la pollution du sol ont fait baisser ses revenus. « On a suivi [après l’accident, en février 2022] SICOMINES pour réclamer des réparations. Ils ont promis de venir. Jusqu’à ce jour, on n’a vu personne passer », explique-t-elle.
Sicomines rejette les accusations, Mumi se décharge d’un funeste bilan
Pour sa part, SICOMINES rejette les accusations de pollution et brandit un rapport conjoint des services environnementaux dépêchés quelques jours après l’incident de Yenge et qui conclut qu’il n’y a pas eu débordement des eaux à partir de son usine. Mais elle n’a plus répondu au sujet des résultats des analyses tutelles par la Division provinciale des mines sur les échantillons de sol et d’au prélevés à l’occasion. Les résultats de ces échantillons n’ont pas encore été partagés avec Mongabay.
Le sentiment à Yenge est le même qu’expriment à Mongabay les victimes de déversement des eaux acidifiées ayant envahi les champs à Sapatelo, à la cité Luilu, toujours à Kolwezi, par KCC qui est toujours attendue. Dans un autre cas, Mutanda Mining, la filiale de l’anglo-suisse Glencore, comme cette dernière, n’a pas toujours finalisé dûment le processus d’indemnisation des victimes d’un accident qui a coûté la vie à 21 personnes en 2018 au village Kabwe, sur la nationale 39 à quelques dizaines de kilomètres de Tenke, vers Kolwezi. Mutanda Mining et sa maison-mère ont rejeté la responsabilité sur leur partenaire de sous-traitance Access Logistics qui devait assurer le transport de l’acide sulfurique à l’origine de cet accident qui avait fait disparaître certaines victimes dans de l’acide.
Nos efforts pour obtenir les réactions des sociétés citées, hormis la SICOMINES et COMMUS, n’ont pas abouti. Ce silence, pour Aimérance Kamisongo, habitante de Sapatelo fatiguée d’expliquer son problème aux journalistes et activistes de la société civile, est bien la preuve que les sociétés minières ne craignent même pas l’État congolais.
« Nos autorités sont, dans la plupart des cas, en conflit d’intérêt », dit le défenseur des droits humains Donat Kambola, de Kolwezi. Il désigne, pour cause, entre autres, la forte politisation du secteur minier. « Beaucoup de gens entretiennent des relations d’affaires avec les entreprises minières. Cela fait que les gens privilégient leurs intérêts plutôt que les intérêts des communautés ».
Didier Makal
Cliquez sur ce lien pour lire la première partie de cette enquête.