Le charbon de bois est de plus en plus demandé dans la ville de Lubumbashi, en RDC. Chaque jour, un habitant de Lubumbashi consomme en moyenne 3,73 kg d’équivalent bois selon le rapport du programme de consommation durable et substitution partielle du bois-énergie. Cette forte demande occasionne l’augmentation de la production de ce combustible de cuisson. Une situation qui met en danger la forêt des Miombo qui entoure la ville cuprifère avec une superficie de 57.032,96 km².
« Kisamamba inengiya ! » (du kiswahili pour signaler l’entrée des sacs de charbon de bois), crient des jeunes hommes assis au-dessus d’un camion chargé de sacs de charbon de bois d’environ 7 tonnes. Kisamamba, l’un des villages producteurs du charbon de bois. Il est 19h10, sur l’avenue Nyembo, devenue l’une des entrées principales du charbon de bois à Lubumbashi. Sur ce tronçon, l’on enregistre de plus en plus une circulation permanente de camions transportant le charbon de bois.
« Nous préférons venir la nuit pour éviter certaines barrières », précise Jean Chalwe, chauffeur de camion rencontré au dépôt Makala en plein déchargement. Selon lui, « Pendant la journée, nous payons beaucoup de taxes et on nous arrête. Comme là, nous venons de Kisamamba et pendant la journée, nous chargeons le camion », ajoute-t-il.
D’après les données de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la République démocratique du Congo enregistre une augmentation considérable de la production du charbon de bois. Entre 2007 et 2022, la production du charbon de bois est passée de 1.826.000 à 2.973.887 de tonnes de charbon de bois par an. Chaque année, on constate une augmentation dans cette activité commerciale. Une augmentation en moyenne d’environ 85.619 tonnes par an sur une période de 5 ans soit entre 2018 et 2022.
Toutefois, il est important de signaler que les données annuelles pour 2023 ne sont pas encore disponibles. Les données les plus récentes datent de 2022.
Le charbon de bois, principale source d’énergie
Clarisse (nom d’emprunt) est une femme au foyer, la trentaine révolue. Elle achète du charbon de bois tous les jours auprès d’une vendeuse détaillant dans son quartier. Ses dépenses quotidiennes s’élèvent à 3.000fc (équivalent à 1,07 dollar américain, à la date de cet article).
Mensuellement, Clarisse dépense au moins 33 dollars américains à cette fin. Cette estimation mensuelle est partagée par la plupart des ménages que nous avons rencontrés. « Je préfère utiliser le charbon de bois parce que c’est moins coûteux », explique Clarisse.
Selon le rapport d’étude de la consommation en énergies domestiques des ménages de la ville de Lubumbashi publié en mai 2020 par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), plus de 98% des ménages de Lubumbashi utilisent le charbon de bois au quotidien.
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« Chaque semaine, nous amenons dans ce marché jusqu’à trois camions et ils se vident souvent, puisque les gens mangent tous les jours », a déclaré le chauffeur Jean Chalwe. Pour lui, c’est une activité lucrative dans laquelle il préfère investir pour se faire un certain bénéfice et subvenir aux besoins de sa famille de 6 personnes.
Pour la seule ville de Lubumbashi, la consommation globale de bois-énergie s’estime à 2,87 millions de tonnes par an. C’est ce que dit le rapport d’étude de la consommation en énergies domestiques des ménages. Étude portant sur les villes de Bukavu, Goma, Kinshasa et Lubumbashi, publié en 2020 par le PNUD et le CIRAD.
D’après le même rapport, les dépenses ménagères mensuelles en termes d’énergies sont concentrées sur le charbon de bois. Chaque ménage dépense au moins 30.000 francs congolais pour un sac d’environ 50kg, soit un peu plus de $10, afin de s’approvisionner en charbons de bois.
« Si j’opte pour une cuisinière, c’est avec quel courant électrique ? », s’interroge Clarisse. « Nous risquons de ne pas manger un jour parce qu’il n’y a pas de courant », poursuit-elle.
Des conséquences fâcheuses sur le climat
Les conséquences du changement climatique ne sont plus à démontrer à Lubumbashi. Omer Kabasele, Président du Groupe de Travail Climat Redd Rénové (GTCRR), s’inquiète du volume de bois coupés pour alimenter la ville en énergie. Selon lui, ces actions ne sont pas sans impact sur le climat.
« Ce sont des hectares de forêts qui partent de manière exponentielle », alerte-t-il avant d’ajouter que « la production de charbons dans la ville de Lubumbashi comme dans n’importe quelle autre entité, inquiète par rapport à la question climatique ».
Un avis partagé par Stéphane Banza, Président de l’ONG Action Pour la Protection de la Nature. « Aujourd’hui, sindigne-t-il, on peut manger, mais le futur va être sombre. Ce qui ne va pas être bon ».
Omer Kabasele est convaincu du lien direct qu’il y a entre la production intensive du charbon de bois et les rythmes des saisons. Il prévient que « lorsqu’on rase les forêts, il y aura un impact sur le rythme saisonnier. Donc ce n’est pas exclu que la déforestation puisse avoir un impact direct sur la régularité et la répartition pluviométrique. »
D’autres possibilités contre le charbon de bois
Des chercheurs proposent des moyens de substitution pour réduire la coupe de bois destinée à la production du charbon. C’est entre autres le recours aux foyers améliorés et le charbon écologique.
Dans une étude intitulée « Etudes des filières Bois-énergie » sur la ville de Lubumbashi, Auguste Nge est clair. Ce docteur en Sciences agronomiques propose trois actions pour améliorer la gestion de la ressource en bois-énergie
Il s’agit d’abord de la mise en œuvre du Schéma Directeur d’Approvisionnement en Bois-Énergie (SDABE). Un schéma élaboré par la GiZ en 2015. Puis du développement de plantation à vocation énergétique dans le Haut-Katanga. Ce afin de réduire la pression sur les peuplements forestiers (Miombo). Et enfin, du déploiement de foyers améliorés à charbon de bois efficaces.
Auguste Nge indique dans son document qu’« actuellement, seul 1% des ménages dispose d’un foyer amélioré à charbon de bois ». C’est un chiffre sur base de son échantillon. Malheureusement, le coût élevé de certaines sources d’énergie serait à la base de leur non utilisation. Le prix d’un foyer amélioré varie entre 15 et 100 dollars selon les points de vente. Clarisse raconte qu’elle ne peut pas par exemple s’offrir le gaz que certains ménages utilisent. « Je n’ai pas d’argent », se justifie-t-elle.
Stéphane Banza quant à lui, appuie les propositions des chercheurs pour répondre à la forte demande en charbons de bois afin de préserver les forêts.
« Nous avons des panneaux solaires, explique-t-il, qui peuvent également être utilisés. Nous avons aussi assez de ressources hydroélectriques comme les barrages. On doit aussi créer des forêts artificielles en mettant dans la culture des haricots ou du maïs et d’autres plantes comme l’Acacia. Au bout de 5 à 10 ans, les populations vont recourir à ces plantes pour faire le charbon de bois » suggère-t-il.
Un appel à la conscience
De manière générale, le reboisement ne suit pas après la production du charbon de bois. Et pourtant, la politique forestière nationale recommande « la réalisation de boisements et reboisements pour la production de bois énergie ». Cela pour permettre la gestion durable des forêts protégées qui font partie du domaine privé de l’Etat.
Nous avons contacté le commissariat provincial de l’environnement sortant du Haut-Katanga. Il s’agissait de connaître la politique prévue pour contraindre les producteurs du charbon de bois à reboiser. Il n’a su que nous renvoyer vers la division provinciale de l’environnement.
Le chef de cette division, contacté à son tour, nous a gentiment repoussé et orienté vers le Fond Forestier National. « Veuillez contacter le Fonds Forestier National, c’est là qu’on gère cette histoire », a répondu Jean-Pierre Ngwej, le Chef de la division, atteint par téléphone. Cependant, c’est le commissariat, à travers la coordination provinciale de l’Environnement qui octroie les documents autorisant la coupe du bois de chauffage.
Selon le document de la politique forestière, le fonds Forestier National a sa propre mission. Il consiste à « financer les opérations de reboisement, d’inventaire et d’aménagement ainsi que des études relatives au développement durable. »
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Le Président de l’ONG Action Pour la Protection de la Nature, appelle à une prise de conscience collective. Stéphane Banza insiste sur l’implication du gouvernement dans l’application des textes légaux sur cette question.
« Pour répondre à ce problème, nous devons travailler plus sur les dispositions légales et réglementaires liées à la gestion des forêts et des terres. Donc les institutions étatiques doivent plus s’impliquer sur comment mettre en pratique ces dispositions. Par exemple, est-ce que toutes les forêts sont appelées à être exploitées ? Est-ce que tous les arbres sont appelés à être coupés ? », propose-t-il.
Le pays possède un code forestier N°011/2002 du 29 août 2002. C’est ce dernier qui prévoit la mise en place d’une politique forestière. Le document de la politique forestière fait des révélations. C’est que « le secteur forestier ne dispose pas d’un cadre institutionnel adéquat. [Pas non plus ] de capacités humaines suffisantes compatibles avec les grands enjeux socio-économiques et environnementaux dévolus à ce secteur. » Ce qui constitue un frein dans la gestion durable des forêts et par donc de la production du charbon de bois. Mais ce document reprend des forêts à exploiter et la manière de procéder.
Les vendeurs pour leur part ne voient aucune conséquence sur l’environnement. Il s’agit pour eux d’une source de revenu et un moyen de survie. « Si j’arrête de vendre la braise, qu’est-ce que je vais faire d’autre? C’est depuis 15 ans que j’exerce cette activité et cela me permet de payer la scolarité de mes enfants », réplique Irène, une vendeuse au dépôt de charbon de bois le long de l’avenue “Des Araucarias”, dans la commune de la Ruashi.
La ville de Lubumbashi en particulier et la RDC continuent d’enregistrer une intensification dans la production du charbon de bois.
Par Gloria Mpanga
Article réalisé dans le cadre de la formation au journalisme de données. Formation organisée par l’Ecole Supérieure de Journalisme, des Métiers de l’Internet et de la Communication, E-jicom.