RDC – Santé : la rougeole tue encore et en silence [Enquête]

In Congo profond, Environnement, Opinions

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) mobilise contre la variole du singe, une maladie qui fait des ravages notamment en République démocratique du Congo (RDC). Un pays qui, depuis 2010, fait face à la résurgence de la rougeole. Cette maladie contagieuse et dangereuse surtout auprès des enfants de moins de cinq ans, a fait beaucoup de victimes. Elle constitue une urgence sous-estimée. Chaque année, des morts sont rapportés parmi les nombreux cas enregistrés à travers toutes les provinces du pays.

Or, c’est rarement qu’on pense à la rougeole lorsqu’on parle d’urgence sanitaire en RDC. Pourtant elle a tué près de 8.000 enfants entre 2018 et 2020. Et a touché près de 460.000 enfants .

L’OMS classe la rougeole parmi les principales causes de décès en RDC. En 2019 sur une liste de dix maladies, la rougeole était à la 4ème place en termes de nombre de décès. Des décès dus aux pathologies recensées, selon les chiffres de l’OMS. Les trois pathologies les plus mortelles étant les affections néonatales, les infections des voies respiratoires inférieures et la tuberculose. Par exemple en 2019, la rougeole fait plus de morts que le paludisme.


L’OMS définit la rougeole comme « une maladie très contagieuse et grave qui se transmet par voie aérienne. Elle est causée par un virus pouvant entraîner de graves complications, voire la mort. »

Au cours de premiers jours, elle s’accompagne de divers symptômes. C’est comme l’écoulement du nez, la toux, les yeux rouges et larmoyants, de petites taches blanches à l’intérieur des joues.

L’année 2019 a connu non seulement le nombre le plus élevé de contamination, mais aussi de décès. La résistance aux vaccins notamment suite à l’épidémie de Covid-19 figure parmi les causes de cette augmentation.

« Depuis l’arrivée du coronavirus, la vaccination des enfants contre d’autres maladies graves telles que la poliomyélite et la rougeole est perturbée », alertait UNICEF en RDC sur sa page Facebook en août 2020.

En réponse à cette flambée de la maladie, le gouvernement congolais avait alloué un budget de 843.714 dollars américains. Les résultats de ces efforts ont entraîné une légère diminution du nombre des contaminés en 2020.

Jusqu’au 25 juin 2023, de la 1ère à la 25ème semaine épidémiologique, la RDC a enregistré 148.936 cas suspects et 2.237 décès. C’était à travers toutes ses 26 provinces, avec au moins une zone de santé.

Nous n’avons pas pu accéder au rapport annuel de 2023 sur la situation de la rougeole. Néanmoins, on sait qu’en janvier 2023, la rougeole a frappé plusieurs régions à travers le pays. Dans la zone de santé de Kamalondo à Lubumbashi, elle a laissé des cicatrices inoubliables. Au moins quatre enfants devenus complètement aveugles. Nous a raconté Jean Ngandu, superviseur et chargé de communication de cette zone santé.

« Lorsque la rougeole se présente dans sa forme sévère ça peut rendre un enfant infirme à vie, entrainer même des séquelles… et carrément elle peut tuer lorsque la forme est grave », confirme Ami Abel, médecin généraliste.

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C’est le cas de Jonathan, un garçon de sept ans. Cette épidémie a changé sa vie à jamais. Il a vaincu la maladie, mais en est sorti avec un lourd tribut après deux semaines de prise en charge : la perte totale de sa vue. Sa mère, que nous avons rencontrée en juillet 2024 par le biais du superviseur de la zone de santé, nous raconte tristement l’histoire :

« Il n’est pas né aveugle. Il souffrait de la rougeole en 2023, mais je ne savais pas. Je l’avais juste soumis à un traitement à la maison vu qu’il présentait la fièvre. Quand je l’ai amené à la zone [de santé] quelques jours plus tard, il ne pouvait même pas marcher seul. On est resté ici [à la zone de santé de Kamalondo] pendant quinze jours et quand on est sortis, il ne voyait plus complètement. C’est pénible pour lui et pour toute la famille

Ph.: Gloria Mpanga, Zone de santé de Kamalondo, à Lubumbashi dans la province du Haut-Katanga

La situation épidémiologique de la rougeole en 2024

Selon le rapport de situation de l’OMS et le ministère de la santé publique, hygiène et prévention sur les crises humanitaires complexes et les épidémies publié en mars 2024, dans les 26 provinces de la RDC, il y a eu 22.257 cas suspects et 729 décès notifiés dans 354 zones de santé. Ce de la première à la huitième semaine de l’année 2024. Une légère baisse des cas a été observée entre la septième et la huitième semaine.

Comparativement à l’année précédente soit 2023, le nombre de décès a grimpé, mais celui des contaminés a baissé.

La professeure Tabitha Ilunga, spécialiste en santé publique rattachée à la santé de la reproduction et épidémiologie, clarifie les ombres. «Toutes les personnes contaminées ne sont pas destinées à mourir. D’ailleurs avec le temps, elles renforcent leur système immunitaire. C’est pourquoi on peut avoir un grand nombre de contaminés et peu de décès. »

Contacté à ce sujet en date du 30 juillet 2024, le bureau de l’OMS en RDC qui a élaboré ce rapport n’a pas répondu, en dépit de plusieurs tentatives auprès de leur service de communication.

La guerre, un facteur amplifiant de la rougeole

Parmi les provinces les plus atteintes, celles de la partie Est du pays, sont particulièrement touchées. En septembre 2023, plus de 100.000 cas de rougeole étaient recensés avec près de 2.200 décès. A la base, le manque d’accès aux vaccins et aux services de la vaccination. La situation humanitaire qui demeure critique suite aux déplacements massifs des populations fuyant la guerre justifie également cette situation : « le conflit prolongé et les récents déplacements de population dans l’est du pays ont contribué, et continuent de contribuer, à ces épidémies et à la persistance de la maladie. », mentionne Social Science in Humanitarian Action Platform dans un rapport intitulé « Analyse intégrée des épidémies (IOA) de récidive de rougeole en RDC, zone de santé de Kilwa, province du Haut-Katanga – mai 2023 »

Dans la lutte contre la rougeole, on note également un retard dans l’introduction de la deuxième dose du vaccin anti-rougeoleux en RDC. Selon les données de l’OMS, l’introduction de la deuxième dose a eu lieu à partir de 2022. Pour Jean Ngandu, « si l’enfant n’a reçu qu’une seule dose de vaccin, il est possible qu’il contracte la maladie et qu’il en meurt par la suite. D’où, l’importance de la deuxième dose

Dans la zone de santé de Kamalondo, la 2ème dose du vaccin anti-rougeoleux est intervenue en mars 2023, affirme Jean Ngandu. Selon lui, cette 2ème dose a pour but de  renforcer l’immunité collective. Elle intervient après celle qu’on administre aux enfants à 9 mois d’âge. Et ajoute que « parmi les contaminés, il y avait aussi des enfants qui avaient déjà reçu la première dose. »

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Pour le docteur Ami Abel qui complète Jean Ngandu, « en cas d’épidémie, on peut descendre jusqu’à 6 mois. » Le cas contraire expose les générations futures et favorise la transmission de la maladie.

Pour sa part, Médecins Sans Frontières (MSF) répond chaque année aux épidémies de rougeoles en RDC par la vaccination. Sur le site internet de MSF, le docteur Louis Massing, référent médical pour MSF en RDC, parle de leur intervention.

« En 2022, nous avons réalisé 45 interventions d’urgence liées à la rougeole. C’est plus de trois quarts de nos réponses d’urgence en RDC ».

D’après le Docteur Ami Abel, on peut éradiquer la rougeole si on arrive à atteindre tous les enfants lors des campagnes de vaccination. Car, affirme-t-il, « il y a beaucoup de maladies déjà éradiquées comme la variole, une autre maladie virale, par la vaccination. »

Mais, poursuit-il, « on ne sait pas atteindre tous les enfants. Il y a encore des résistances des parents qui ne veulent pas faire vacciner leurs enfants et ces enfants seront toujours une source de contamination pour les autres. »

Pendant ce temps, l’épidémie de rougeole continue à tuer en silence en RDC. D’une part, on ne la mentionne que peu comme urgence sanitaire. D’autre part, le faible financement alloué à la santé en RDC entrave l’efficacité de l’intervention contre cette épidémie.

Le pays ne dispose d’aucun programme particulier de lutte contre la rougeole. Ce qui n’est pas le cas d’autres maladies mortelles comme le VIH/SIDA ou le paludisme. Toutefois, l’on enregistre plusieurs plans élaborés dans l’objectif d’éliminer la rougeole entre 2010 et 2023.

Les efforts du gouvernement semblent toujours minimes suite à la persistance de la maladie. Parmi ces efforts, il y a la mise en place du comité de coordination de lutte contre la rougeole en RDC, en 2019. Un comité qu’on entend très peu sur le terrain, en dépit des ravages que continue de causer la maladie.

Par Gloria Mpanga

*Première photo : UN News, 2020 

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